Page:Sand - Antonia.djvu/326

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— Voyons, madame André, lui dit-il de l’air grognon qu’il prenait quand sa mauvaise humeur commençait à battre en retraite, vous savez dire tout ce que vous voulez ; mais, au fond, vous ne pouvez pas me souffrir, convenez-en !

— Je ne hais personne, monsieur ; mais vous me contraignez à vous avouer que je vous crains.

Rien n’était plus habile que cette réponse. Inspirer la crainte était pour M. Antoine le plus bel attribut du pouvoir. Il se radoucit comme par miracle, et dit d’un ton presque bonhomme :

— Pourquoi diable me craignez-vous tant ?

Madame André avait la pénétration des femmes qui ont beaucoup vécu dans le monde, et l’adresse des mères qui plaident les intérêts de leur enfant. Elle vit le pas important qu’elle venait de faire ; elle oublia, et cette fois fort à propos, qu’elle avait soixante ans, et se décida courageusement à être coquette, bien que M. Antoine fût l’homme avec qui cette ruse lui coûtait le plus.

— Mon frère, lui dit-elle, il n’eût tenu qu’à vous de conserver ma confiance. Je ne vous reproche pas de l’avoir trahie ; vos intentions étaient bonnes, et c’est moi qui vous ai mal compris. J’étais bien jeune alors, et dans une situation où tout me portait ombrage. Je n’avais aucune expérience de la vie. J’ai cru que vous me donniez le conseil d’abandonner André, tandis que…

— Tandis que je vous disais tout bonnement : « Sauvez-le ! »