Page:Sand - Antonia.djvu/38

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ses manières, et tout aussitôt l’entretien s’engagea entre elles comme si elles se fussent toujours connues, tant leur sympathie fut subite et réciproque.

— Vous vivez seule ? disait madame Thierry ; mais c’est par situation momentanée, et non par goût ?

— C’est aussi par crainte du monde et méfiance de moi-même. Et vous, madame, est-ce que vous l’aimez, le monde ?

— Je ne le haïssais pas, dit la veuve. Je l’ai quitté par amour, je l’ai oublié, puis je l’ai retrouvé sans effort et sans enivrement. Enfin je l’ai quitté de nouveau par nécessité et sans regret. Tout ceci vous parait un peu obscur ?

— Je sais que M. Thierry avait une grande aisance, de belles relations, qu’il allait dans le monde, et qu’il recevait chez lui l’élite des gens d’esprit.

— Mais vous ne savez pas notre vie d’auparavant ? Elle a fait un peu de bruit dans le temps ; mais c’est déjà loin, et vous êtes si jeune !

— Attendez ! dit la comtesse. Je vous demande pardon de mon oubli. À présent, je me souviens : vous aviez de la naissance ?

— Oui, j’étais mademoiselle de Meuil, d’une bonne famille de gentilshommes lorrains. J’étais même assez riche, si je consentais à me marier au gré de mes tuteurs. J’ai aimé M. Thierry, qui n’était alors qu’un petit artisan sans nom et sans avoir. J’ai tout quitté, j’ai rompu avec tout, j’ai tout perdu pour devenir sa femme. Peu à peu il est devenu célèbre, et, en même