Page:Sand - Cadio.djvu/224

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à nous, j’aurais réussi à vous oublier… à être au moins pour lui une épouse fidèle et dévouée. Songez que, dans ce temps-là, on disait autour de moi que vous n’étiez pas libre, que votre femme vivait encore…

SAINT-GUELTAS. Vous avez cru à cette fable inventée par un prêtre dont j’avais blessé la vanité et combattu l’influence ?

LOUISE. Je n’y crois plus, puisqu’à l’affaire du Grand-Chêne, au moment où nous pensions tous marcher à la mort, vous m’avez fait promettre d’être votre femme, si un miracle nous faisait survivre à ce désastre. Eh bien, depuis ce terrible jour et durant le lugubre hiver que je viens de passer, séparée de mon parti, de mon père et de vous, j’avais renoncé à toute espérance de bonheur. Je me croyais à jamais perdue, bannie, misérable, oubliée, et, en songeant à vous, je me disais que vous ne m’aviez jamais aimée, que ma méfiance avait trop longtemps rebuté votre amour, et que, dans cette promesse de mariage que vous m’aviez arrachée, il y avait eu le délire d’un suprême enthousiasme plutôt que l’attachement profond d’une âme dévouée. Me suis-je trompée, dites ? Il y a des moments où je crois vous sentir plein de bonté, de douceur et de tendresse sous votre terrible écorce, et ce contraste m’émeut et me charme. Dans ma solitude, je me suis retracé certains moments où vous sembliez affectueux, indulgent, paternel, comme tout à l’heure ; mais je me rappelais aussi qu’après avoir épuisé avec moi les séductions de votre langage facile et abondant en promesses, vous aviez du dépit et une sorte de haine… Est-ce là l’amour ? Il m’attire et m’épouvante. Irrité, je vous crains ; — attendri, je vous crains plus encore… Que de fois, assoupie sur la