Page:Sand - Cadio.djvu/226

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tu m’aimes follement, c’est-à-dire tel que je suis et sans me comparer à personne, sans me juger d’après tes propres idées, sans te souvenir qu’il existe des êtres pires ou meilleurs. Et que t’importe que je sois bon ou méchant, pur ou souillé, pourvu qu’il y ait en moi une force capable d’absorber ta vie et de te la rendre décuplée par le souffle de ma poitrine ardente ? Ne vois-tu pas que je suis un type à part, un homme que, ni dans le bien ni dans le mal, les autres hommes ne sont de taille à mesurer ? ne m’as-tu pas vu, dans ma colère, briser tout sur mon passage comme la foudre, et, dans ma douceur, tendre le brin d’herbe à l’insecte qui se noyait ? Si j’ai tous les vices, comme on me le reproche, j’ai peut-être aussi toutes les vertus, qui sait ? N’ai-je pas prouvé que, si je satisfaisais parfois mes passions en égoïste, je savais les vaincre en stoïcien quand une raison supérieure parlait à mon orgueil ? Quel est après tout le résultat de cette vie délirante qui m’emporte ? N’est-ce pas jusqu’ici le sacrifice ? N’ai-je pas tout donné, ma fortune, mon repos, ma chair, mon âme à la cause que je veux faire triompher ? Je suis un fou, à ce que l’on dit, un téméraire, un prodigue ; j’engloutirai ta fortune comme j’ai englouti la mienne dans l’abîme sans fond des dévouements romanesques. Eh bien, oui, certes, et tu me mépriserais, si j’hésitais à le faire. Trafiquer, conserver, prévoir au milieu de la vie d’aventures qui nous est faite, est-ce possible, est-ce digne de nous ? Ce sont là des vertus du temps passé comme l’amour timide et matrimonial de nos grand’mères ! Nous ne sommes pas nés pour ces choses-là, nous autres. Le destin nous a jetés sur la terre au milieu d’une tourmente, se souciant peu des faibles