Page:Sand - Cadio.djvu/227

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

destinés à être broyés, et trempant les forts pour des combats formidables. Tu vois bien que je suis une de ces puissances fatales qui doivent tout traverser et tout vaincre. Ma laideur caractéristique est comme le cachet de ma destinée. Là où je passe, dans les boudoirs comme dans les halliers, le sanglier que je suis met à néant les Apollons de l’ancienne mythologie galante. C’est qu’à travers ce masque bestial luit une flamme qui vient du ciel ou de l’enfer ; c’est que cette main est plus noueuse que le câble et plus dure que le chêne ; c’est que ces bras velus et ces épaules arquées te porteraient tout un jour sans se fatiguer ; c’est que tout cet être qui t’appartient a été prédestiné aux travaux d’Hercule d’une époque de monstres et de prodiges ! Et tu parles de clémence, de pitié, de modération à un boulet rouge lancé dans le monde pour l’épurer en le ravageant ?… C’est de l’enfantillage, ma pauvre Louise ! c’est ne pas comprendre l’horreur de la situation et la mission de ceux qui doivent la dominer. C’est méconnaître aussi la tienne et te ravaler au niveau des femmes lâches et bornées qui veulent pour maître un esclave et pour compagnon un idiot. Non, non ! lève les yeux plus haut ! Tu as déjà vaincu la timidité de ton sexe en traversant, éperdue mais sublime, des scènes de carnage et de désolation. Porte dans l’amour l’enthousiasme et la foi qui t’ont jetée dans les batailles. Affronte cette guerre-là, c’est la plus terrible, la plus enivrante de toutes ! Apprends à te mesurer avec le lion et non à jouer avec le passereau ! Sois ma vraie compagne, ma lumière et mon ombre, mon arbitre quelquefois, mon frein au besoin… ma complice toujours, car il faudra que tu acceptes les situations inextricables et les résolutions