Page:Sand - Cadio.djvu/238

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et ceux qui tuaient étaient à peine plus vivants que les morts. Les chiens affamés dévoraient les cadavres, et les roues de la charrette les écrasaient. Mes cheveux se dressaient sur ma tête, et je me disais : « Voilà l’enfer de la vengeance ! c’est ici la fête du sang et de la fureur ! » Alors, j’ai entendu un rire exécrable qui partait de moi, et tu as dit au chirurgien qui nous escortait : « Pauvre Cadio ! c’est la mort ! » Quand je me suis éveillé à l’hôpital militaire, tu étais encore auprès de moi, tu t’affligeais, disant : « L’épidémie est ici, il faudrait le transporter ailleurs. » C’est alors qu’un des infirmiers m’a reconnu et qu’il t’a dit : « Cadio est de mon pays. Je l’ai vu tout petit, je lui veux du bien. Mon frère est logé dans la ville aux frais de la nation, parce qu’il est employé à son service. Je vais transporter Cadio chez lui, il n’y manquera de rien. »

HENRI. Et on m’a tenu parole, n’est-ce pas ? Tu n’as pas à te plaindre de ton hôte ?

CADIO. Non ! C’est un homme malheureux, mais c’est un honnête homme, et il ne faudra pas lui parler de le payer. Il en serait offensé. Je veux t’en parler, de cet homme-là ! Il m’a beaucoup appris et beaucoup fait réfléchir.

HENRI. C’est un maître charpentier, n’est-ce pas ?

CADIO. C’est un ancien chartreux du couvent d’Auray, qui est venu ici reprendre l’état de son père, et, quand on construisait des gabares destinées à être englouties avec les prisonniers qu’on y entassait, c’est lui qui commandait ces travaux et ces exécutions-là.

HENRI. Ah ! je ne savais pas ce détail. Sa figure est très-douce pourtant.

CADIO. Oui, comme la mienne ; mais elle ne sourit pas. Cet homme était cruel et intolérant autrefois. Il