Page:Sand - Cadio.djvu/295

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femme la nuit de ton mariage avec la seconde. Ton malheureux fils aurait partagé son sort… Tu pâlis ! il y a donc quelque chose de vrai ?…

SAINT-GUELTAS. Il y a une chose vraie : l’enfant était vivant, si c’est vivre que d’être un avorton privé de sens ; il s’est noyé durant cette nuit fatale, j’ai retrouvé son corps sur la grève.

RABOISSON. Il était donc chez toi ? Comment ? pourquoi ? avec qui ?

SAINT-GUELTAS. Est-ce pour me trahir que tu m’infliges cet interrogatoire ?

RABOISSON. Non, c’est pour te justifier, si cela est possible, pour te défendre dans tous les cas.

SAINT-GUELTAS. Eh bien, je ne sais pas feindre, voici la vérité… Cette femme m’avait trompé, tu le sais. J’ai tué son amant dans ses bras ; elle est devenue folle. Longtemps enfermée dans mon château de Marande avec un enfant infirme de corps et d’esprit que j’avais sujet de ne pas croire légitime, mais auquel j’étais forcé par la loi de laisser porter mon nom, elle avait disparu en 92 avec son fils quand ce manoir a été pris et incendié par les républicains. On a cru et j’ai dû croire que ces deux misérables créatures avaient été égorgées ou brûlées ; mais elles s’étaient échappées, et elles s’étaient traînées jusque chez moi la veille du jour où j’ai épousé Louise, dont tu connaissais la situation délicate. Pouvais-je et devais-je sacrifier son honneur et mon avenir à ce fantôme d’épouse légitime, objet d’horreur et de dégoût, dont le malheur ne méritait même pas le respect ? La loi qui rend de tels liens indissolubles est atroce. Elle violente la plus inaliénable des libertés humaines, celle de disposer de soi. Ma femme était coupable, elle ne