Page:Sand - Cadio.djvu/321

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et la foi ! Entre l’ivresse sanguinaire et la patience des dupes, il y a un chemin possible, et jamais l’humanité n’a été acculée à des situations morales sans issue.

CADIO. Tu te trompes, il y en a ! Tu crois à ta bénigne Providence ! Tu ne connais pas la véritable action de Dieu sur les hommes ; elle est plus terrible que cela : elle a ses jours mystérieux d’implacable destruction, comme le ciel visible a la grêle et la foudre !

HENRI. Ces ravages-là sont vite effacés, en France surtout. Le soleil y est plus bienfaisant que la foudre n’est cruelle ; il est comme Dieu, qui a fait l’un et l’autre. Le moment va venir où nous pourrons fermer les registres de l’homicide, et Quiberon sera peut-être la dernière de nos tragédies. C’est alors que nous pourrons aider le gouvernement, chancelant encore, à entrer dans la bonne voie. C’est à nous, jeunes gens, c’est à nos généraux imberbes, c’est à des hommes comme toi et moi, fruits précoces ou produits instantanés de la Révolution, qu’il appartient de replanter l’arbre de la liberté tombé dans le sang. C’est la pensée de Hoche. Tu dois l’entrevoir pour t’y conformer. Tu n’es encore qu’un petit officier, Cadio ; mais tu as voulu devenir un homme, et tu l’es devenu. Ta conviction, ta volonté ont autant d’importance que celles de tout autre, et ce n’est pas un temps de décadence et d’agonie, celui où tout homme peut se dire : « J’ai reçu la lumière et je la donne ; mon esprit peut se fortifier, mon influence peut s’étendre. Je ne suis plus une tête de bétail dans le troupeau, et je ne suis pas seulement un chiffre dans les armées… J’aurai dans la patrie, dans l’État, dans