Page:Sand - Cadio.djvu/370

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dans la vague. Je suis bon nageur, tu le sais, et, quoique le trajet fût long, il n’était pas inquiétant pour moi. Eh bien, j’ai mal nagé, je ne savais plus ! Dix fois j’ai failli être englouti, et, chaque fois, j’ai vu auprès de moi la folle et l’enfant qui flottaient sur l’écume et cherchaient à me saisir pour m’entraîner. Quand la barque m’a recueilli, je me suis évanoui encore… Tiens ! c’est fait de moi. Je subis les défaillances et les terreurs qui sont le lot des autres hommes. Je n’espère plus rien. Je mourrai ici, et voilà peut-être la dernière fois que je te parle !

RABOISSON. Tu as l’esprit frappé, comme tant d’autres. Celui qui pourrait voir et retracer les fantômes sinistres que les songes de nos nuits évoquent ferait ici, en ce moment, un second enfer du Dante… Nous avons tous été dévots, c’est-à-dire superstitieux, dans notre enfance ; quelques-uns de nous le sont encore, et, d’ailleurs, nous subissons forcément le contre-coup de nos agitations et de nos fatigues, sans être soutenus par l’espoir du triomphe. Tu as plus qu’un autre sujet de t’alarmer. D’Hervilly, blessé, résilie ce soir son commandement, et c’est bien vu. Ses meilleurs amis sont forcés de le reconnaître incapable. Puisaye ne t’aime pas. Si tu t’abandonnes toi-même, si tu refuses de reprendre la campagne avec les partisans, tu n’auras, parmi les émigrés, aucun ascendant, aucun prestige. L’abbé Sapience t’a perdu dans leur esprit,… et l’on sait, ou l’on croit, d’après son assertion, que, grâce à lui, celle dont l’ombre te poursuit est vivante et guérie, toute prête à te convaincre d’infamie.

SAINT-GUELTAS. Que dis-tu ?… Ah ! voilà le dernier coup ! Je paraîtrai demain au conseil, je veux me disculper, raconter les faits…