Page:Sand - Cadio.djvu/83

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HENRI. Un suicide est une lâcheté.

LE CAPITAINE, tressaillant. Une lâcheté ?

HENRI. Oui, mon capitaine, toujours ! Je ne suis pas un grand raisonneur, moi ; mais on m’a appris ça ici dès mon enfance. L’homme qui se tue donne sa démission et se déclare inutile. On m’a dit aussi qu’un homme représentait toujours une force quelconque, et qu’il n’avait pas le droit de la supprimer, parce qu’il ne la tient pas de lui-même : c’est Dieu qui la lui a confiée. Il faut donc choisir entre ce qui est bien et ce qui est mal. Si la Révolution est un mal, il faut l’abandonner et se jeter résolûment dans le parti contraire.

LE CAPITAINE. Le parti royaliste ? Jamais quant à moi ! Il m’inspire des répugnances invincibles.

HENRI. Concluez, alors.

LE CAPITAINE Je ne puis… Aucun parti ne représente plus pour moi la France. Elle est perdue, souillée. La vie me fait horreur à présent !

HENRI. La vie est rude, mon capitaine, c’est vrai ; mais, moi, à vingt-deux ans, je ne peux pas dire comme vous que tout est perdu. Ça ne m’entre pas dans la tête, une idée pareille ! Si la France est égarée et souillée, nous serions bien fous ou bien paresseux d’aller demander au bourreau la fin de nos incertitudes, et de donner à cette France criminelle le plaisir de commettre un crime de plus. S’il n’y a plus d’honneur en France, c’est donc que personne ne croit plus en soi-même ? Eh bien, mordieu ! voilà une parole que je ne puis pas dire pour mon compte, et un exemple que je ne veux pas donner.

LE CAPITAINE. Henri, tu as raison. Servir son pays ou le trahir… Dans cette extrémité, il n’y a plus de