Page:Sand - Cadio.djvu/88

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LE CAPITAINE. Qu’est-ce que ça veut dire ?

CADIO. Ça veut dire les grandes pierres, pas loin de la baie de Quiberon, au pays des anciens hommes qui dressaient sur tranche des pierres plus grosses que des tours.

HENRI. Qui t’a élevé ?

CADIO. Personne et tout le monde.

HENRI. Mais qui t’a enseigné le français et le latin ?

CADIO. Les moines du couvent. J’allais chez eux chanter au lutrin. J’aurais voulu savoir la musique. Ils ne la savaient pas et voulaient me faire moine. Ils m’avaient déjà coupé les cheveux, et, comme je m’en allais souvent seul dans la lande pour jouer d’un méchant pipeau que je m’étais fabriqué, ils ont prétendu que je me donnais au diable. Ce n’était pas vrai ; mais, à force de me le dire, ils me l’ont mis dans la tête, et le diable s’est mis à me tourmenter ; je m’en suis confessé. Alors, ils m’ont fait jeûner et souffrir dans le caveau des morts. C’est pourquoi je me suis sauvé du couvent et du pays.

LE CAPITAINE. Qu’es-tu devenu, alors ?

CADIO. J’ai tâché de gagner ma vie en faisant danser le monde avec mon pipeau, et j’ai passé bien des journées sans manger, afin de pouvoir m’acheter un biniou !

HENRI. Qu’as-tu à pleurer ?

CADIO. Vos soldats me l’ont pris.

LE CAPITAINE, bas, à Henri. Il ne paraît pas se douter qu’il puisse lui arriver pire. Continuez à le questionner.

HENRI. Pourquoi as-tu quitté la Bretagne ?

CADIO. Je ne pouvais plus y rester. Comme j’avais la tête rasée, on courait après moi dans les villages