Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 1.djvu/167

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

comme dans le mal, c’est là un penchant nuisible. Je rêvai des vertus sublimes d’une facilité extrême, des courages héroïques toujours avides d’action, toujours dédaigneux de prudence, des candeurs victorieuses de tous les périls, des désintéressements aveugles, et, pour conclure, je fis de moi-même en imagination l’héroïne la plus accomplie que mes auteurs eussent pu inventer. Ceci me ramenait aux instincts romanesques de mon enfance que les légendes miraculeuses de Denise avaient développés, que Jennie, plus sage et plus pure, avait su diriger sans les éteindre, et que la nonchalance de miss Agar laissait follement s’égarer.

Un autre mauvais effet de ces lectures fut de me dégoûter des choses sérieuses. Je ne fis donc aucun réel progrès intellectuel avec mon Anglaise, et, à l’âge où l’enfant devient une jeune fille, au lieu d’être fortifiée par des aliments solides, mon âme ne fut préservée du trouble que par l’ignorance.

C’est dans cette situation morale que Marius me retrouva, lorsqu’au bout d’un an d’absence il revint nous voir. Il avait été envoyé à Marseille après quelques légères escapades à Toulon, et désormais on était fort content de lui. Il avait beaucoup grandi, et je le trouvai enlaidi par un rudiment de favoris blonds dont il était très-fier, et dont pour rien au monde il n’eût fait le sacrifice. Il devenait