Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 1.djvu/220

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non moins séduisant que les mauvaises ? Que peut-on lire à dix-huit ans qui ne parle pas d’amour, soit sérieusement, soit follement ? Les contes du berceau commencent toujours par un roi et une reine qui s’aimaient avec tendresse et finissent par une princesse et un prince qui se marièrent et vécurent heureux. Dès que l’on passe à l’histoire, le domaine des faits réels, on voit l’amour qui débuta par perdre Troie, bouleverser les empires, et, quand on veut boire aux sources les plus sacrées de la poésie, ou trouve Pétrarque brûlant pour Laure et Dante faisant l’apothéose de Béatrix.

Béatrix ! ce fut là surtout mon rêve et mon dangereux météore. Je commençais à bien savoir l’italien. Ce n’est pas la peine d’apprendre une langue, si on doit en ignorer les beautés. Frumence, qui ne pouvait mettre l’Enfer entre mes mains, coupa son édition pour me donner le Paradis. Le Paradis consomma ma perte. Je devins sa Béatrix dans ma pensée. J’entrepris de le guérir de la passion qu’il n’éprouvait pas et de lui faire lire dans le ciel auquel il ne croyait pas.

Je ne sais s’il s’aperçut que je devenais bizarre et inquiétante comme élève ; mais il s’arrangea souvent pour être absent le dimanche, et bientôt je fus presque des mois entiers sans le trouver aux