Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 1.djvu/250

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inutile de penser à ce qu’on ne peut ni avancer ni reculer. On doit prendre les temps de la vie comme ils viennent. Ensuite, si je dois un jour vivre avec un homme qui doute de Dieu, je me figure que je le changerai.

— Et si tu n’y parviens pas ?

— Je m’en consolerai. Je me dirai qu’il verra plus clair dans une vie meilleure, et que Dieu le trouvera digne de lui montrer plus de lumière que dans celle-ci. Allons, Lucienne, voilà onze heures. Dormez bien, et que mon sort ne vous tourmente pas. J’aurais grand tort de m’en plaindre, puisque vous m’aimez si bien.

Elle me baisa au front et s’en alla dans sa chambre, aussi tranquille que les autres soirs.

La confession de Frumence avait entr’ouvert devant moi la porte de l’idéal, la protestation de Jennie la referma. Pendant quelque temps je ne vis plus rien qu’un nuage impénétrable sur mon avenir. Une âme forte comme celle de Frumence rêvait l’amour et le surmontait. Une âme grande comme celle de Jennie l’ajournait sans y rêver. Ce tyran des cœurs était donc bien débonnaire et bien facile à tenir en bride, pour peu que l’on fût un esprit bien trempé, et j’avais la prétention de n’être au-dessous de personne.