Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 1.djvu/263

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ger à lui, et, quand elle en parlait, c’était toujours à propos de quelque détail positif ou de quelque fait en dehors d’elle-même. Chaque jour écoulé sur cette éventualité de leur union semblait la rendre plus invraisemblable à ses yeux. Elle comptait ses années, et, si je venais à lui dire qu’elle était toujours beaucoup plus belle et presque aussi jeune que moi, elle haussait les épaules et répondait :

— Y songez-vous ? j’ai trente-trois ans !

J’ai bien compris plus tard pourquoi Jennie mettait ainsi toute la force morale dont elle était si largement douée à repousser l’idée de l’amour. Voyant que, par mon caractère et par ma situation, je n’étais pas facile à marier, elle ne voulait pas me donner le spectacle ou seulement l’idée d’un bonheur étranger au mien. Elle réussit presque à me faire oublier que Frumence aspirait à ce bonheur quand même, et qu’à l’attendre indéfiniment il trouvait une satisfaction digne d’elle et de lui.

J’essayai d’imiter ces deux êtres d’élite et de me désintéresser de moi-même pour ne vivre que par le sentiment du devoir. Hélas ! j’étais trop jeune pour accomplir sans efforts et sans rechute un si grand sacrifice. L’ennui me dévorait, l’ennui dans une vie aussi active et aussi studieuse que la mienne ! Eh bien, oui, c’était de l’ennui. Il y avait