Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 1.djvu/320

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dont l’œil clair et paisible semblait envelopper dans sa puissance de concentration toutes les émotions de mon cœur et toutes les incertitudes de ma destinée. Je remontai à cheval sans dire un mot, et je partis.

Au bout de cent pas, je crus que j’allais m’évanouir. Ce rêve effrayant et bizarre qui, dès mon enfance et dans ces derniers temps surtout, s’était présenté vaguement à mon imagination, il se réalisait donc brutalement ! J’étais sans nom, sans âge, sans famille, sans passé, sans avenir, sans protection et sans responsabilité ! Je ne pouvais me figurer la situation où j’étais forcée d’entrer tout à coup. Je m’aperçus bien, à l’épouvante qui s’empara de moi, que j’avais été vainement avertie : je n’avais rien prévu.

Je ne prévoyais pas encore. J’essayais de comprendre ; un nuage était sur ma vue. La campagne étincelante de soleil me parut grise et terne. La brise, chaude comme un simoun, me frappa les épaules comme une bise d’hiver. Voulant réagir contre cette défaillance, j’animai mon cheval et lui lâchai les rênes. Il s’élança comme un ouragan, ce pauvre Zani qui n’avait pas couru depuis longtemps ; il traversa la Dardenne en bondissant sur les dalles glissantes avec l’adresse d’un chamois Je m’abandonnai à son audace sans en avoir