Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 1.djvu/72

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chaîne de montre et sa pommade à la rose constituaient une supériorité indiscutable sur tous ceux qui nous entouraient. Il ne faut pourtant pas croire que mon cœur ou des sens précoces fussent émus par sa présence. J’étais enfant dans toute l’acception du mot, et je dois dire dès le début de mon histoire que non-seulement je n’étais pas amoureuse de lui, mais encore que je ne l’ai jamais été. Là est l’étrangeté du sentiment qui devait agiter mon existence et la sienne.

Sa domination sur moi fut d’autant plus illogique dans le principe, qu’il me fut un continuel sujet d’impatience ou d’ennui. Il n’avait aucun de mes goûts et il me sacrifiait fort peu les siens, tandis qu’à toute heure les miens lui étaient sacrifiés avec ou sans murmure. J’avais l’habitude et le besoin d’une ardente locomotion, et, tout entière à ce que je faisais, j’arrivais à aimer l’étude avec passion. Pour lui, la leçon de Frumence était un fléau auquel il se résignait en protestant par une invincible inertie, et le mouvement était une fatigue qu’avec la meilleure volonté du monde il n’eût pu supporter comme moi. Sa santé était aussi délicate que son esprit était paresseux. Il retardait donc considérablement les progrès que j’aurais voulu et que j’aurais pu faire avec Frumence, et, si ma grand’mère n’eût exigé que je