Page:Sand - Constance Verrier.djvu/84

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l’adolescence, mais avec la puissance nerveuse de la fièvre. Je ne tenais pas à vivre, mais à émouvoir, et j’eusse sacrifié dix ans de mon avenir pour un moment d’enthousiasme de mon public. C’était le seul plaisir sur lequel je ne fusse pas blasée.

« Un jour, je me trouvai seule en voyage, arrêtée dans une misérable auberge au bord d’un beau lac. Je m’étais brouillée avec la plupart de mes amis pour un caprice, et je m’en allais dans une autre ville chercher un milieu nouveau à mon activité désespérée.

« Mais la maladie se jetait sur moi, et, pendant trois jours et trois nuits, je vis la mort face à face. Je n’avais conscience de rien autour de mon lit abandonné. Je sentais seulement que j’étais là sans amis et que je ne pouvais plus rien contre un mal implacable, l’épuisement du corps et de l’âme.

« Si je fus sauvée par le médecin du village ou par un reste de forces physiques qui avait survécu au désastre de ma vie, je l’ignore absolument. J’en laissai l’honneur au bonhomme, et quand il me prescrivit de rester là un mois pour me remettre, je convins qu’il avait raison, puisqu’il m’eût été impossible de m’en aller ailleurs.

« Ce temps de solitude absolue me fit rentrer en moi-même. Comme j’avais été beaucoup d’heures sans connaissance, je me sentais brisée, et comme séparée du passé par une lacune de cent ans. Cette vie, dont j’avais fait si bon marché, j’étais forcée de reconnaître qu’on l’aime toujours quand même, et je