Page:Sand - Constance Verrier.djvu/95

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tère. C’était un homme d’esprit qui ne voyait pas par les yeux de sa femme, mais qui, par crainte d’une lutte quelconque, ne marchait que par son ordre ou avec sa permission. Il se vengeait de son esclavage par le sarcasme ; ma mère ne comprenait pas ou ne voulait pas comprendre. Pourvu qu’elle fut le chef actif de la famille, le plus ou moins d’adhésion ou de satisfaction personnelle du mari ou des enfants ne l’embarrassait guère.

« C’était, au demeurant, une excellente femme, charitable, juste et enjouée. Dès mes premiers ans, je vis l’ordre et l’union régner autour de moi ; mais je dois à la vérité de dire que la tendresse n’y était pour rien, et que le verbe aimer ne frappa jamais mes oreilles. Mes parents ne semblaient pas croire que l’affection fût nécessaire au bonheur. Ils avaient placé leur contentement dans des choses tout extérieures : la fortune, la considération, l’opinion, les relations, les alliances, que sais-je ? C’était une serre froide où je grandissais tranquillement, sans soleil et sans orages.

« J’avais à peine seize ans quand on me maria à ce charmant duc d’Évereux, le plus aimable, le moins aimant des beaux. C’était tout à fait l’homme qui convenait à ma famille. On ne me demanda pas s’il me convenait. Au reste, si on me l’eût demandé, j’eusse répondu affirmativement. Il était le plus élégant, le mieux mis et le mieux élevé des jeunes gens de notre monde. J’étais une grande niaise confiante, un peu opprimée par les puérilités systématiques de notre intérieur, avide de l’inconnu, ne doutant de rien,