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consuelo.

pendable. Tu t’es moquée de moi. Tu m’as caché la moitié de tes études et de tes ressources. Je n’avais plus rien à t’enseigner depuis longtemps, et tu prenais mes leçons par hypocrisie, peut-être pour me ravir tous les secrets de la composition et de l’enseignement, afin de me surpasser en toutes choses, et de me faire passer ensuite pour un vieux pédant !

— Mon maître, répondit Consuelo, je n’ai pas fait autre chose qu’imiter votre malice envers l’empereur Charles. Ne m’avez-vous pas raconté cette aventure ? comme quoi Sa Majesté impériale n’aimait pas les trilles, et vous avait fait défense d’en introduire un seul dans votre oratorio, et comme quoi, ayant scrupuleusement respecté sa défense jusqu’à la fin de l’œuvre, vous lui aviez donné un divertissement de bon goût à la fugue finale en la commençant par quatre trilles ascendantes, répétées ensuite à l’infini, dans le stretto par toutes les parties ? Vous avez fait ce soir le procès à l’abus des ornements, et puis vous m’avez ordonné d’en faire. J’en ai fait trop, afin de vous prouver que moi aussi je puis outrer un travers dont je veux bien me laisser accuser.

— Je te dis que tu es le diable, reprit le Porpora. Maintenant chante-nous quelque chose d’humain, et chante-le comme tu l’entendras ; car je vois bien que je ne puis plus être ton maître.

— Vous serez toujours mon maître respecté et bien-aimé, s’écria-t-elle en se jetant à son cou et en le serrant à l’étouffer ; c’est à vous que je dois mon pain et mon instruction depuis dix ans. Ô mon maître ! on dit que vous avez fait des ingrats : que Dieu me retire à l’instant même l’amour et la voix, si je porte dans mon cœur le poison de l’orgueil et de l’ingratitude ! »

Le Porpora devint pâle, balbutia quelques mots, et déposa un baiser paternel sur le front de son élève : mais