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consuelo.

il y laissa une larme ; et Consuelo, qui n’osa l’essuyer, sentit sécher lentement sur son front cette larme froide et douloureuse de la vieillesse abandonnée et du génie malheureux. Elle en ressentit une émotion profonde et comme une terreur religieuse qui éclipsa toute sa gaieté et éteignit toute sa verve pour le reste de la soirée. Une heure après, quand on eut épuisé autour d’elle et pour elle toutes les formules de l’admiration, de la surprise et du ravissement, sans pouvoir la distraire de sa mélancolie, on lui demanda un spécimen de son talent dramatique. Elle chanta un grand air de Jomelli dans l’opéra de Didon abandonnée ; jamais elle n’avait mieux senti le besoin d’exhaler sa tristesse ; elle fut sublime de pathétique, de simplicité, de grandeur, et belle de visage plus encore qu’elle ne l’avait été à l’église. Son teint s’était animé d’un peu de fièvre, ses yeux lançaient de sombres éclairs ; ce n’était plus une sainte, c’était mieux encore, c’était une femme dévorée d’amour. Le comte, son ami Barberigo, Anzoleto, tous les auditeurs, et, je crois, le vieux Porpora lui-même, faillirent en perdre l’esprit. La Clorinda suffoqua de désespoir. Consuelo, à qui le comte déclara que, dès le lendemain, son engagement serait dressé et signé, le pria de lui promettre une grâce secondaire, et de lui engager sa parole à la manière des anciens chevaliers, sans savoir de quoi il s’agissait. Il le fit, et l’on se sépara, brisé de cette émotion délicieuse que procurent les grandes choses, et qu’imposent les grandes intelligences.

XIII.

Pendant que Consuelo avait remporté tous ces triomphes, Anzoleto avait vécu si complètement en elle, qu’il