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consuelo.

très-favorable, et que le dépit concentré de ces derniers temps eût un peu amolli les plans de son beau visage, florissant d’embonpoint, Anzoleto, qui n’avait jamais vu de si près en tête-à-tête une femme si parée et si renommée, se sentit émouvoir dans les régions de son âme où Consuelo n’avait pas voulu descendre, et d’où il avait banni volontairement sa pure image. Les hommes corrompus avant l’âge peuvent encore ressentir l’amitié pour une femme honnête et sans art ; mais pour ranimer leurs passions, il faut les avances d’une coquette. Anzoleto conjura les railleries de la Corilla par les témoignages d’un amour qu’il s’était promis de feindre et qu’il commença à ressentir véritablement. Je dis amour, faute d’un mot plus convenable ; mais c’est profaner un si beau nom que de l’appliquer à l’attrait qu’inspirent des femmes froidement provoquantes comme l’était la Corilla. Quand elle vit que le jeune ténor était ému tout de bon, elle s’adoucit, et le railla plus amicalement.

« Tu m’as plu tout un soir, je le confesse, dit-elle, mais au fond je ne t’estime pas. Je te sais ambitieux, par conséquent faux, et prêt à toutes les infidélités : je ne saurais me fier à toi. Tu fis le jaloux, une certaine nuit dans ma gondole ; tu te posas comme un despote. Cela m’eût désennuyée des fades galanteries de nos patriciens ; mais tu me trompais, lâche enfant ! tu étais épris d’une autre, et tu n’as pas cessé de l’être, et tu vas épouser… qui !… Oh ! je le sais fort bien, ma rivale, mon ennemie, la débutante, la nouvelle maîtresse de Zustiniani. Honte à nous deux, à nous trois, à nous quatre ! ajouta-t-elle en s’animant malgré elle et en retirant sa main de celles d’Anzoleto.

— Cruelle, lui dit-il en s’efforçant de ressaisir cette main potelée, vous devriez comprendre ce qui s’est passé en moi lorsque je vous vis pour la première fois, et ne