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les subsides de la guerre, ne montrant aucune agitation au milieu des dangers et des malheurs publics ; qui, enfin, ne semblait plus vivre de la même vie que les autres nobles, et de laquelle on se méfiait, bien qu’on n’eût jamais eu à enregistrer de ses faits extérieurs que de bonnes actions et de nobles procédés. Ne sachant à quoi attribuer cette vie froide et retirée, on accusait les Rudolstadt, tantôt de misanthropie, tantôt d’avarice ; mais comme, à chaque instant, leur conduite donnait un démenti à ces imputations, on était réduit à leur reprocher simplement trop d’apathie et de nonchalance. On disait que le comte Christian n’avait pas voulu exposer les jours de son fils unique, dernier héritier de son nom, dans ces guerres désastreuses, et que l’impératrice avait accepté, en échange de ses services militaires, une somme d’argent assez forte pour équiper un régiment de hussards. Les nobles dames qui avaient des filles à marier disaient que le comte avait fort bien agi ; mais lorsqu’elles apprirent la résolution que semblait manifester Christian de marier son fils dans sa propre famille, en lui faisant épouser la fille du baron Frédérick, son frère ; quand elles surent que la jeune baronne Amélie venait de quitter le couvent où elle avait été élevée à Prague, pour habiter désormais, auprès de son cousin, le château des Géants, ces nobles dames déclarèrent unanimement que la famille des Rudolstadt était une tanière de loups, tous plus insociables et plus sauvages les uns que les autres. Quelques serviteurs incorruptibles et quelques amis dévoués surent seuls le secret de la famille, et le gardèrent fidèlement.

Cette noble famille était rassemblée un soir autour d’une table chargée à profusion de gibier et de ces mets substantiels dont nos aïeux se nourrissaient encore à cette époque dans les pays slaves, en dépit des raffine-