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consuelo.

liarité dédaigneuse ou enjouée, suivant sa disposition du moment.

Cette jeune fille, blonde, un peu haute en couleur, vive et bien faite, était une petite perle de beauté ; et quand sa femme de chambre le lui disait pour la consoler de son ennui : « Hélas ! répondait la jeune fille, je suis une perle enfermée dans ma triste famille comme dans une huître dont cet affreux château des Géants est l’écaille. » C’est en dire assez pour faire comprendre au lecteur quel pétulant oiseau renfermait cette impitoyable cage.

Ce soir-là le silence solennel qui pesait sur la famille, particulièrement au premier service (car les deux vieux seigneurs, la chanoinesse et le chapelain avaient une solidité et une régularité d’appétit qui ne se démentaient en aucune saison de l’année), fut interrompue par le comte Albert.

« Quel temps affreux ! » dit-il avec un profond soupir.

Chacun se regarda avec surprise ; car si le temps était devenu sombre et menaçant, depuis une heure qu’on se tenait dans l’intérieur du château et que les épais volets de chêne étaient fermés, nul ne pouvait s’en apercevoir. Un calme profond régnait au dehors comme au dedans, et rien n’annonçait qu’une tempête dût éclater prochainement.

Cependant nul ne s’avisa de contredire Albert, et Amélie seule se contenta de hausser les épaules, tandis que le jeu des fourchettes et le cliquetis de la vaisselle, échangée lentement par les valets, recommençait après un moment d’interruption et d’inquiétude.

« N’entendez-vous pas le vent qui se déchaîne dans les sapins du Boehmer-Wald, et la voix du torrent qui monte jusqu’à vous ? » reprit Albert d’une voix plus haute, et avec un regard fixe dirigé vers son père.

Le comte Christian ne répondit rien. Le baron, qui