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consuelo.

regarda fixement la nappe damassée, dont il semblait compter les fleurons et les rosaces, bien qu’il fût absorbé dans une sorte de rêve extatique.

XXIII.

Une tempête furieuse éclata durant le souper, lequel durait toujours deux heures, ni plus ni moins, même les jours d’abstinence, que l’on observait religieusement, mais qui ne dégageaient point le comte du joug de ses habitudes, aussi sacrées pour lui que les ordonnances de l’église romaine. L’orage était trop fréquent dans ces montagnes, et les immenses forêts qui couvraient encore leurs flancs à cette époque, donnaient au bruit du vent et de la foudre des retentissements et des échos trop connus des hôtes du château, pour qu’un accident de cette nature les émût énormément. Cependant l’agitation extraordinaire que montrait le comte Albert se communiqua involontairement à la famille ; et le baron, troublé dans les douceurs de sa réfection, en eût éprouvé quelque humeur, s’il eût été possible à sa douceur bienveillante de se démentir un seul instant. Il se contenta de soupirer profondément lorsqu’un épouvantable éclat de la foudre, survenu à l’entremets, impressionna l’écuyer tranchant au point de lui faire manquer la noix du jambon de sanglier qu’il entamait en cet instant.

« C’est une affaire faite ! dit-il, en adressant un sourire compatissant au pauvre écuyer consterné de sa mésaventure.

— Oui, mon oncle, vous avez raison ! s’écria le comte Albert d’une voix forte, et en se levant ; c’est une affaire faite. Le Hussite est abattu ; la foudre le consume. Le printemps ne reverdira plus son feuillage.

— Que veux-tu dire, mon fils ? demanda le vieux