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consuelo.

de ce sombre château, où les hurlements de la meute du baron et la lueur des torches que portaient les serviteurs répandaient quelque chose de vraiment sinistre. Quel contraste avec le firmamento lucido de Marcello, le silence harmonieux des nuits de Venise, la liberté confiante de sa vie passée au sein de l’amour et de la riante poésie ! Lorsque la voiture eut franchi lentement le pont-levis qui résonna sourdement sous les pieds des chevaux, et que la herse retomba derrière elle avec un affreux grincement, il lui sembla qu’elle entrait dans l’enfer du Dante, et saisie de terreur, elle recommanda son âme à Dieu.

Sa figure était donc bouleversée lorsqu’elle se présenta devant ses hôtes ; et celle du comte Christian venant à la frapper tout d’un coup, cette longue figure blême, flétrie par l’âge et le chagrin, et ce grand corps maigre et raide sous son costume antique, elle crut voir le spectre d’un châtelain du moyen âge ; et, prenant tout ce qui l’entourait pour une vision, elle recula en étouffant un cri d’effroi.

Le vieux comte, n’attribuant son hésitation et sa pâleur qu’à l’engourdissement de la voiture et à la fatigue du voyage, lui offrit son bras pour monter le perron, en essayant de lui adresser quelques paroles d’intérêt et de politesse. Mais le digne homme, outre que la nature lui avait donné un extérieur froid et réservé, était devenu, depuis plusieurs années d’une retraite absolue, tellement étranger au monde, que sa timidité avait redoublé, et que, sous un aspect grave et sévère au premier abord, il cachait le trouble et la confusion d’un enfant. L’obligation qu’il s’imposa de parler italien (langue qu’il avait sue passablement, mais dont il n’avait plus l’habitude) ajoutant à son embarras, il ne put que balbutier quelques paroles que Consuelo entendit à peine, et qu’elle prit pour le langage inconnu et mystérieux des ombres.