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consuelo.

mais il se jetait dans mes bras, et j’étais désarmée.

« — Avec moi, dit l’abbé, il n’a jamais eu rien à réparer.

« — Croyez-moi, ma sœur, c’est beaucoup mieux ainsi, dit mon oncle.

« — Hélas ! dit la chanoinesse, il aura donc toujours ce visage qui me consterne et me serre le cœur ?

« — C’est un visage noble et fier qui sied à un homme de son rang, répondit l’abbé.

« — C’est un visage de pierre ! s’écria la chanoinesse. Il me semble que je vois ma mère, non pas telle que je l’ai connue, sensible et bienveillante, mais telle qu’elle est peinte, immobile et glacée dans son cadre de bois de chêne.

« — Je répète à votre seigneurie, dit l’abbé, que c’est l’expression habituelle du comte Albert depuis huit années.

« — Hélas ! il y a donc huit mortelles années qu’il n’a souri à personne ! dit la bonne tante en laissant couler ses larmes ; car depuis deux heures que je le couve des yeux, je n’ai pas vu le moindre sourire animer sa bouche close et décolorée ! Ah ! j’ai envie de me précipiter vers lui et de le serrer bien fort sur mon cœur, en lui reprochant son indifférence, en le grondant même comme autrefois, pour voir si, comme autrefois, il ne se jettera pas à mon cou en sanglotant.

« — Gardez-vous de pareilles imprudences, ma chère sœur, dit le comte Christian en la forçant de se détourner d’Albert qu’elle regardait toujours avec des yeux humides. N’écoutez pas les faiblesses d’un cœur maternel : nous avons bien assez éprouvé qu’une sensibilité excessive était le fléau de la vie et de la raison de notre enfant. En le distrayant, en éloignant de lui toute émotion vive, monsieur l’abbé, conformément à nos recommandations et à celles des médecins, est parvenu à calmer cette