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consuelo.

tendre tint Consuelo assez longtemps éveillée. La nuit sombre, pluvieuse, et pleine de gémissements, contribuait aussi à l’agiter de sentiments superstitieux qu’elle ne connaissait pas encore. Il y a donc une fatalité incompréhensible, se disait-elle, qui pèse sur certains êtres ? Qu’avait fait à Dieu cette jeune fille qui me parlait tout à l’heure, avec tant d’abandon, de son naïf amour-propre blessé et de ses beaux rêves déçus ? Et qu’avais-je fait de mal moi-même pour que mon seul amour fût si horriblement froissé et brisé dans mon cœur ? Mais, hélas ! quelle faute a donc commise ce farouche Albert de Rudolstadt pour perdre ainsi la conscience et la direction de sa propre vie ? Quelle horreur la Providence a-t-elle conçue pour Anzoleto de l’abandonner, ainsi qu’elle l’a fait, aux mauvais penchants et aux perverses tentations ?

Vaincue enfin par la fatigue, elle s’endormit, et se perdit dans une suite de rêves sans rapport et sans issue. Deux ou trois fois elle s’éveilla et se rendormit sans pouvoir se rendre compte du lieu où elle était, se croyant toujours en voyage. Le Porpora, Anzoleto, le comte Zustiniani et la Corilla passaient tour à tour devant ses yeux, lui disant des choses étranges et douloureuses, lui reprochant je ne sais quel crime dont elle portait la peine sans pouvoir se souvenir de l’avoir commis. Mais toutes ces visions s’effaçaient devant celle du comte Albert, qui repassait toujours devant elle avec sa barbe noire, son œil fixe, et son vêtement de deuil rehaussé d’or, par moments semé de larmes comme un drap mortuaire.

Elle trouva, en s’éveillant tout à fait, Amélie déjà parée avec élégance, fraîche et souriante à côté de son lit.

« Savez-vous, ma chère Porporina, lui dit la jeune baronne en lui donnant un baiser au front, que vous avez en vous quelque chose d’étrange ? Je suis destinée