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consuelo.

jours chez lui une crise récente d’une crise prochaine. Vous l’avez vu aujourd’hui tel que je l’ai vu en arrivant ici au commencement de l’année dernière. Hélas ! si vous étiez destinée par la volonté d’autrui à devenir la femme d’un pareil visionnaire, si, pour vaincre votre tacite résistance, on avait tacitement comploté de vous tenir captive indéfiniment dans cet affreux château, avec un régime continu de surprises, de terreurs et d’agitations, avec des pleurs, des exorcismes et des extravagances pour tout spectacle, en attendant une guérison à laquelle on croit toujours et qui n’arrivera jamais, vous seriez comme moi bien désenchantée des belles manières d’Albert et des douces paroles de la famille.

— Il n’est pas croyable, dit Consuelo, qu’on veuille forcer votre volonté au point de vous unir malgré vous à un homme que vous n’aimez point. Vous me paraissez être l’idole de vos parents.

— On ne me forcera à rien : on sait bien que ce serait tenter l’impossible. Mais on oubliera qu’Albert n’est pas le seul mari qui puisse me convenir, et Dieu sait quand on renoncera à la folle espérance de me voir reprendre pour lui l’affection que j’avais éprouvée d’abord. Et puis mon pauvre père, qui a la passion de la chasse, et qui a ici de quoi se satisfaire, se trouve fort bien dans ce maudit château, et fait toujours valoir quelque prétexte pour retarder notre départ, vingt fois projeté et jamais arrêté. Ah ! si vous saviez, ma chère Nina, quelque secret pour faire périr dans une nuit tout le gibier de la contrée, vous me rendriez le plus grand service qu’âme humaine puisse me rendre.

— Je ne puis malheureusement que m’efforcer de vous distraire en vous faisant faire de la musique, et en causant avec vous le soir, lorsque vous n’aurez pas envie de