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consuelo.

« — Je vois, dit Albert, frappé du silence qui se faisait autour de lui, que vous ne voulez pas me comprendre, de peur de me comprendre trop. Qu’il en soit donc comme vous le voulez. Votre aveuglement a porté depuis longtemps l’arrêt dont je subis la rigueur. Éternellement malheureux, éternellement seul, éternellement étranger parmi ceux que j’aime, je n’ai de refuge et de soutien que dans la consolation qui m’a été promise.

« — Quelle est donc cette consolation, mon fils ? dit le comte Christian mortellement affligé ; ne peut-elle venir de nous, et ne pouvons-nous jamais arriver à nous entendre ?

« — Jamais, mon père. Aimons-nous, puisque cela seul nous est permis. Le ciel m’est témoin que notre désaccord immense, irréparable, n’a jamais altéré en moi l’amour que je vous porte.

« — Et cela ne suffit-il pas ? dit la chanoinesse en lui prenant une main, tandis que son frère pressait l’autre main d’Albert dans les siennes ; ne peux-tu oublier tes idées étranges, tes bizarres croyances, pour vivre d’affection au milieu de nous ?

« — Je vis d’affection, répondit Albert. C’est un bien qui se communique et s’échange délicieusement ou amèrement, selon que la foi religieuse est commune ou opposée. Nos cœurs communient ensemble, ô ma tante Wenceslawa ! mais nos intelligences se font la guerre, et c’est une grande infortune pour nous tous ! Je sais qu’elle ne cessera point avant plusieurs siècles, voilà pourquoi j’attendrai dans celui-ci un bien qui m’est promis, et qui me donnera la force d’espérer.

« — Quel est ce bien, Albert ? ne peux-tu me le dire ?

« — Non, je ne puis le dire, parce que je l’ignore ; mais il viendra. Ma mère n’a point passé une semaine sans me l’annoncer dans mon sommeil, et toutes les voix