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consuelo.

rien à vous apprendre. La conduite de mon cousin durant les dix-huit mois que j’ai passés ici a été une continuelle répétition des fantaisies que vous connaissez maintenant. Seulement son prétendu souvenir de ce qu’il avait été et de ce qu’il avait vu dans les siècles passés prit une apparence de réalité effrayante, lorsque Albert vint à manifester une faculté particulière et vraiment inouïe dont vous avez peut-être entendu parler, mais à laquelle je ne croyais pas, avant d’en avoir eu les preuves qu’il en a données. Cette faculté s’appelle, dit-on, en d’autres pays, la seconde vue ; et ceux qui la possèdent sont l’objet d’une grande vénération parmi les gens superstitieux. Quant à moi, qui ne sais qu’en penser, et qui n’entreprendrai point de vous en donner une explication raisonnable, j’y trouve un motif de plus pour ne jamais être la femme d’un homme qui verrait toutes mes actions, fût-il à cent lieues de moi, et qui lirait presque dans ma pensée. Une telle femme doit être au moins une sainte, et le moyen de l’être avec un homme qui semble voué au diable !

— Vous avez le don de plaisanter sur toutes choses, dit Consuelo, et j’admire l’enjouement avec lequel vous parlez de choses qui me font dresser les cheveux sur la tête. En quoi consiste donc cette seconde vue ?

— Albert voit et entend ce qu’aucun autre ne peut voir ni entendre. Lorsqu’une personne qu’il aime doit venir, bien que personne ne l’attende, il l’annonce et va à sa rencontre une heure d’avance. De même il se retire et va s’enfermer dans sa chambre, quand il sent venir de loin quelqu’un qui lui déplaît.

« Un jour qu’il se promenait avec mon père dans un sentier de la montagne, il s’arrêta tout à coup et fit un grand détour à travers les rochers et les épines, pour ne point passer sur une certaine place qui n’avait cependant rien de