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consuelo.

rées d’une légère rougeur. Jamais elle n’avait été plus belle à la scène dans les rôles héroïques ; et pourtant elle ne pensait pas plus à la scène en cet instant qu’elle n’avait pensé à elle-même en montant sur le théâtre.

De temps en temps elle s’arrêtait rêveuse et recueillie.

« Et si je venais à le rencontrer tout à coup, se disait-elle, que lui dirais-je qui pût le convaincre et le tranquilliser ? Je ne sais rien de ces choses mystérieuses et profondes qui l’agitent. Je les comprends à travers un voile de poésie qu’on a à peine soulevé devant mes yeux, éblouis de visions si nouvelles. Il faudrait avoir plus que le zèle et la charité, il faudrait avoir la science et l’éloquence pour trouver des paroles dignes d’être écoutées par un homme si supérieur à moi, par un fou si sage auprès de tous les êtres raisonnables au milieu desquels j’ai vécu. Allons, Dieu m’inspirera quand le moment sera venu ; car pour moi, j’aurais beau chercher, je me perdrais de plus en plus dans les ténèbres de mon ignorance. Ah ! si j’avais lu beaucoup de livres de religion et d’histoire, comme le comte Christian et la chanoinesse Wenceslawa ! si je savais par cœur toutes les règles de la dévotion et toutes les prières de l’Église, je trouverais bien à en appliquer heureusement quelqu’une à la circonstance ; mais j’ai à peine compris, à peine retenu par conséquent quelques phrases du catéchisme, et je ne sais prier qu’au lutrin. Quelque sensible qu’il soit à la musique, je ne persuaderai pas ce savant théologien avec une cadence ou avec une phrase de chant. N’importe ! il me semble qu’il y a plus de puissance dans mon cœur pénétré et résolu, que dans toutes les doctrines étudiées par ses parents, si bons et si doux, mais indécis et froids comme les brouillards et les neiges de leur patrie. »