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consuelo.

fit taire toutes les autres considérations. Eh bien, dors une heure sur ce lit. »

Anzoleto ne se le fit pas dire deux fois.

« Bonne comme Dieu même ! » murmura-t-il en s’étendant sur le matelas d’algue marine.

Consuelo l’entoura de sa couverture ; elle alla prendre dans un coin quelques pauvres hardes qui lui restaient, et lui en couvrit les pieds.

« Anzoleto, lui dit-elle à voix basse tout en remplissant ce soin maternel, ce lit où tu vas dormir, c’est celui où j’ai dormi avec ma mère les dernières années de sa vie ; c’est celui où je l’ai vue mourir, où je l’ai enveloppée de son drap mortuaire, où j’ai veillé sur son corps en priant et en pleurant, jusqu’à ce que la barque des morts soit venue me l’ôter pour toujours. Eh bien, je vais te dire maintenant ce qu’elle m’a fait promettre à sa dernière heure. Consuelo, m’a-t-elle dit, jure-moi sur le Christ qu’Anzoleto ne prendra pas ma place dans ce lit avant de s’être marié avec toi devant un prêtre.

— Et tu as juré ?

— Et j’ai juré. Mais en te laissant dormir ici pour la première fois, ce n’est pas la place de ma mère que je te donne, c’est la mienne.

— Et toi, pauvre fille, tu ne dormiras donc pas ? reprit Anzoleto en se relevant à demi par un violent effort. Ah ! je suis un lâche, je m’en vais dormir dans la rue.

— Non ! dit Consuelo en le repoussant sur le coussin avec une douce violence ; tu es malade, et je ne le suis pas. Ma mère qui est morte en bonne catholique, et qui est dans le ciel, nous voit à toute heure. Elle sait que tu lui as tenu la promesse que tu lui avais faite de ne pas m’abandonner. Elle sait aussi que notre amour est aussi honnête depuis sa mort qu’il l’a été de son vivant. Elle voit qu’en ce moment je ne fais et je ne pense