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consuelo.

geuse conférence, il fut d’avis de ne pas exaspérer le jeune comte en insistant auprès de lui, et de ne pas le pousser à la révolte en tourmentant sa protégée.

« C’est au comte Christian lui-même qu’il faut adresser vos représentations, dit-il. L’excès de votre tendresse a trop enhardi le fils ; que la sagesse de vos remontrances éveille enfin l’inquiétude du père, afin qu’il prenne à l’égard de la dangereuse personne des mesures décisives.

— Croyez-vous donc, reprit la chanoinesse, que je ne me sois pas encore avisée de ce moyen ? Mais, hélas ! mon frère a vieilli de quinze ans pendant les quinze jours de la dernière disparition d’Albert. Son esprit a tellement baissé, qu’il n’est plus possible de lui faire rien comprendre à demi-mot. Il semble qu’il fasse une sorte de résistance aveugle et muette à l’idée d’un chagrin nouveau ; il se réjouit comme un enfant d’avoir retrouvé son fils, et de l’entendre raisonner en apparence comme un homme sensé. Il le croit guéri radicalement, et ne s’aperçoit pas que le pauvre Albert est en proie à un nouveau genre de folie plus funeste que l’autre. La sécurité de mon frère à cet égard est si profonde, et il en jouit si naïvement, que je ne me suis pas encore senti le courage de la détruire, en lui ouvrant les yeux tout à fait sur ce qui se passe. Il me semble que cette ouverture, lui venant de vous, serait écoutée avec plus de résignation, et qu’accompagnée de vos exhortations religieuses, elle serait plus efficace et moins pénible.

— Une telle ouverture est trop délicate, répondit le chapelain, pour être abordée par un pauvre prêtre comme moi. Dans la bouche d’une sœur, elle sera beaucoup mieux placée, et votre seigneurie saura en adoucir l’amertume par les expressions d’une tendresse que je