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consuelo.

« Voici celui qui m’a sauvée, et qui m’a soignée comme si j’étais sa sœur. »

Mais ce jour, qui fut l’apogée de son bonheur, changea tout à coup, et plus qu’il ne l’avait voulu prévoir, ses relations avec Consuelo. Désormais associée aux occupations et rendue aux habitudes de la famille, elle ne se trouva plus que rarement seule avec lui. Le vieux comte, qui paraissait avoir pris pour elle une prédilection plus vive qu’avant sa maladie, l’entourait de ses soins avec une sorte de galanterie paternelle dont elle se sentait profondément touchée. La chanoinesse, qui ne disait plus rien, ne s’en faisait pas moins un devoir de veiller sur tous ses pas, et de venir se mettre en tiers dans tous ses entretiens avec Albert. Enfin, comme celui-ci ne donnait plus aucun signe d’aliénation mentale, on se livra au plaisir de recevoir et même d’attirer les parents et les voisins, longtemps négligés. On mit une sorte d’ostentation naïve et tendre à leur montrer combien le jeune comte de Rudolstadt était redevenu sociable et gracieux ; et Consuelo paraissant exiger de lui, par ses regards et son exemple, qu’il remplît le vœu de ses parents, il lui fallut bien reprendre les manières d’un homme du monde et d’un châtelain hospitalier.

Cette rapide transformation lui coûta extrêmement. Il s’y résigna pour obéir à celle qu’il aimait. Mais il eût voulu en être récompensé par des entretiens plus longs et des épanchements plus complets. Il supportait patiemment des journées de contrainte et d’ennui, pour obtenir d’elle le soir un mot d’approbation et de remerciement. Mais, quand la chanoinesse venait, comme un spectre importun, se placer entre eux, et lui arracher cette pure jouissance, il sentait son âme s’aigrir et sa force l’abandonner. Il passait des nuits cruelles, et souvent il approchait de la citerne, qui n’avait pas cessé d’être pleine et