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consuelo.

Mon père aime la musique, et voudrait que cet instrument, aussi sacré pour moi que les cistres des mystères d’Éleusis, servît à son amusement. Que deviendrais-je, grand Dieu ! s’il me fallait accompagner une cavatine à Amélie, et que deviendrait mon père si je lui jouais un de ces vieux airs hussitiques qui ont mené tant de bohémiens aux mines ou au supplice, ou un cantique plus moderne de nos pères luthériens, dont il rougit de descendre ? Hélas ! Consuelo, je ne sais guère de choses plus nouvelles. Il en existe sans doute, et d’admirables. Ce que vous m’apprenez de Hændel et des autres grands maîtres dont vous êtes nourrie me paraît supérieur, à beaucoup d’égards, à ce que j’ai à vous enseigner à mon tour. Mais, pour connaître et apprendre cette musique, il eût fallu me mettre en relation avec un nouveau monde musical ; et c’est avec vous seule que je pourrai me résoudre à y entrer, pour y chercher les trésors longtemps ignorés ou dédaignés que vous allez verser sur moi à pleines mains.

— Et moi, dit Consuelo en souriant, je crois que je ne me chargerai point de cette éducation. Ce que j’ai entendu dans la grotte est si beau, si grand, si unique en son genre, que je craindrais de mettre du gravier dans une source de cristal et de diamant. Ô Albert ! je vois bien que vous en savez plus que moi-même en musique. Mais maintenant, ne me direz-vous rien de cette musique profane dont je suis forcée de faire profession ? Je crains de découvrir que, dans celle-là comme dans l’autre, j’ai été jusqu’à ce jour au-dessous de ma mission, en y portant la même ignorance ou la même légèreté.

— Bien loin de le croire, Consuelo, je regarde votre rôle comme sacré ; et comme votre profession est la plus sublime qu’une femme puisse embrasser, votre âme est la plus digne d’en remplir le sacerdoce.