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consuelo.

sympathies, mes goûts et mes habitudes. Las de voir la stérilité et la vanité de l’intelligence des hommes de ce siècle, j’ai eu besoin de retremper mon cœur compatissant dans le commerce des esprits simples ou malheureux. Ces fous, ces vagabonds, tous ces enfants déshérités des biens de la terre et de l’affection de leurs semblables, j’ai pris plaisir à converser avec eux ; à retrouver, dans les innocentes divagations de ceux qu’on appelle insensés, les lueurs fugitives, mais souvent éclatantes, de la logique divine ; dans les aveux de ceux qu’on appelle coupables et réprouvés, les traces profondes, quoique souillées, de la justice et de l’innocence, sous la forme de remords et de regrets. En me voyant agir ainsi, m’asseoir à la table de l’ignorant et au chevet du bandit, on en a conclu charitablement que je me livrais à des pratiques d’hérésie, et même de sorcellerie. Que puis-je répondre à de telles accusations ? Et quand mon esprit, frappé de lectures et de méditations sur l’histoire de mon pays, s’est trahi par des paroles qui ressemblaient au délire, et qui en étaient peut-être, on a eu peur de moi, comme d’un frénétique, inspiré par le diable… Le diable ! savez-vous ce que c’est, Consuelo, et dois-je vous expliquer cette mystérieuse allégorie, créée par les prêtres de toutes les religions ?

— Oui, mon ami, dit Consuelo, qui, rassurée et presque persuadée, avait oublié sa main dans celles d’Albert. Expliquez-moi ce que c’est que Satan. À vous dire vrai, quoique j’aie toujours cru en Dieu, et que je ne me sois jamais révoltée ouvertement contre ce qu’on m’en a appris, je n’ai jamais pu croire au diable. S’il existait, Dieu l’enchaînerait si loin de lui et de nous, que nous ne pourrions pas le savoir.

— S’il existait, il ne pourrait être qu’une création