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consuelo.

croisaient devant elle, et qui, en plusieurs endroits, offraient de grands dangers.

« Au nom de Dieu ! criait Albert, pas par ici ! arrêtez-vous ! La mort est sous vos pieds ! attendez-moi ! »

Mais ses cris augmentaient la peur de Consuelo. Elle franchit deux fois le ruisseau en sautant avec la légèreté d’une biche, et sans savoir pourtant ce qu’elle faisait. Enfin elle heurta, dans un endroit sombre et planté de cyprès, contre une éminence du terrain, et tomba, les mains en avant, sur une terre fine et fraîchement remuée.

Cette secousse changea la disposition de ses nerfs. Une sorte de stupeur succéda à son épouvante. Suffoquée, haletante, et ne comprenant plus rien à ce qu’elle venait d’éprouver, elle laissa le comte la rejoindre et s’approcher d’elle. Il s’était élancé sur ses traces, et avait eu la présence d’esprit de prendre à la hâte, en passant, une des torches plantées sur les rochers, afin de pouvoir au moins l’éclairer au milieu des détours du ruisseau, s’il ne parvenait pas à l’atteindre avant un endroit qu’il savait profond, et vers lequel elle paraissait se diriger. Atterré, brisé par des émotions si soudaines et si contraires, le pauvre jeune homme n’osait ni lui parler, ni la relever. Elle s’était assise sur le monceau de terre qui l’avait fait trébucher, et n’osait pas non plus lui adresser la parole. Confuse et les yeux baissés, elle regardait machinalement le sol où elle se trouvait. Tout à coup elle s’aperçut que cette éminence avait la forme et la dimension d’une tombe, et qu’elle était effectivement assise sur une fosse récemment recouverte, que jonchaient quelques branches de cyprès à peine flétries et des fleurs desséchées. Elle se leva précipitamment, et, dans un nouvel accès d’effroi qu’elle ne put maîtriser, elle s’écria :

« Ô Albert ! qui donc avez-vous enterré ici ?

— J’y ai enterré ce que j’avais de plus cher au monde