Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 2.djvu/178

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
166
consuelo.

prodige, et vous trouviez, pour me dessiller les yeux, des paroles que votre intelligence calme et votre éducation d’artiste ne vous avaient pas permis d’étudier et de préparer. La pitié, la charité, vous inspiraient, et, sous leur influence miraculeuse, vous me disiez ce que je devais entendre pour connaître et concevoir la vie humaine.

— Que vous ai-je donc dit de si sage et de si fort ? Vraiment, Albert, je n’en sais rien.

— Ni moi non plus ; mais Dieu même était dans le son de votre voix et dans la sérénité de votre regard. Auprès de vous je compris en un instant ce que dans toute ma vie je n’eusse pas trouvé seul. Je savais auparavant que ma vie était une expiation, un martyre ; et je cherchais l’accomplissement de ma destinée dans les ténèbres, dans la solitude, dans les larmes, dans l’indignation, dans l’étude, dans l’ascétisme et les macérations. Vous me fîtes pressentir une autre vie, un autre martyre, tout de patience, de douceur, de tolérance et de dévouement. Les devoirs que vous me traciez naïvement et simplement, en commençant par ceux de la famille, je les avais oubliés ; et ma famille, par excès de bonté, me laissait ignorer mes crimes. Je les ai réparés, grâce à vous ; et dès le premier jour j’ai connu, au calme qui se faisait en moi, que c’était là tout ce que Dieu exigeait de moi pour le présent. Je sais bien que ce n’est pas tout, et j’attends que Dieu se révèle sur la suite de mon existence. Mais j’ai confiance maintenant, parce que j’ai trouvé l’oracle que je pourrai interroger. C’est vous, Consuelo ! La Providence vous a donné pouvoir sur moi, et je ne me révolterai pas contre ses décrets, en cherchant à m’y soustraire. Je ne devais donc pas hésiter un instant entre la puissance supérieure investie du don de me régénérer, et la pauvre créature passive qui jusqu’alors