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consuelo.

méprisable et haïssable entre tous les hommes. Ce matin même, elle l’avait vu passer avec une démarche insolente et un air d’insouciance presque cynique. Et voilà qu’il était à genoux, humilié, repentant, baigné de larmes, comme dans les jours orageux de leurs réconciliations passionnées ; plus beau que jamais, car son costume de voyage un peu commun, mais bien porté, lui seyait à merveille, et le hâle des chemins avait donné un caractère plus mâle à ses traits admirables.

Palpitante comme la colombe que le vautour vient de saisir, elle fut forcée de s’asseoir et de cacher son visage dans ses mains, pour se dérober à la fascination de son regard. Ce mouvement, qu’Anzoleto prit pour de la honte, l’encouragea ; et le retour des mauvaises pensées vint bien vite gâter l’élan naïf de son premier transport. Anzoleto, en fuyant Venise et les dégoûts qu’il y avait éprouvés en punition de ses fautes, n’avait pas eu d’autre pensée que celle de chercher fortune ; mais en même temps il avait toujours nourri le désir et l’espérance de retrouver sa chère Consuelo. Un talent aussi éblouissant ne pouvait, selon lui, rester caché bien longtemps, et nulle part il n’avait négligé de prendre des informations, en faisant causer ses hôteliers, ses guides, ou les voyageurs dont il faisait la rencontre. À Vienne, il avait retrouvé des personnes de distinction de sa nation, auxquelles il avait confessé son coup de tête et sa fuite. Elles lui avaient conseillé d’aller attendre plus loin de Venise que le comte Zustiniani eût oublié ou pardonné son escapade ; et en lui promettant de s’y employer, elles lui avaient donné des lettres de recommandation pour Prague, Dresde et Berlin. En passant devant le château des Géants, Anzoleto n’avait pas songé à questionner son guide ; mais, au bout d’une heure de marche rapide, s’étant ralenti pour laisser souffler les chevaux, il avait