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consuelo.

« Mais quoi ! disait-elle, j’irai leur faire un nouveau mensonge ! j’irai leur offrir une fille égarée, une épouse adultère ! car je le suis par le cœur, et la bouche qui jurerait une immuable fidélité au plus sincère des hommes est encore toute brûlante du baiser d’un autre ; et mon cœur tressaille d’un plaisir impur rien que d’y songer ! Ah ! mon amour même pour l’indigne Anzoleto est changé comme lui. Ce n’est plus cette affection tranquille et sainte avec laquelle je dormais heureuse sous les ailes que ma mère étendait sur moi du haut des cieux. C’est un entraînement lâche et impétueux comme l’être qui l’inspire. Il n’y a plus rien de grand ni de vrai dans mon âme. Je me mens à moi-même depuis ce matin, comme je mens aux autres. Comment ne leur mentirais-je pas désormais à toutes les heures de ma vie ? Présent ou absent, Anzoleto sera toujours devant mes yeux ; la seule pensée de le quitter demain me remplit de douleur, et dans le sein d’un autre je ne rêverais que de lui. Que faire, que devenir ? »

L’heure s’avançait avec une affreuse rapidité, avec une affreuse lenteur. « Je le verrai, se disait-elle. Je lui dirai que je le hais, que je le méprise, que je ne veux jamais le revoir. Mais non, je mens encore ; car je ne le lui dirai pas ; ou bien, si j’ai ce courage, je me rétracterai un instant après. Je ne puis plus même être sûre de ma chasteté ; il n’y croit plus, il ne me respectera pas. Et moi, je ne crois plus à moi-même, je ne crois plus à rien. Je succomberai par peur encore plus que par faiblesse. Oh ! plutôt mourir que de descendre ainsi dans ma propre estime, et de donner ce triomphe à la ruse et au libertinage d’autrui, sur les instincts sacrés et les nobles desseins que Dieu avait mis en moi ! »

Elle se mit à sa fenêtre, et eut véritablement l’idée de se précipiter, pour échapper par la mort à l’infamie dont