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vant ces détails, et en se livrant à mille conjectures, à mille projets, Consuelo conçut un dessein assez étrange et fort téméraire. Mais comme il lui offrait un terme moyen entre les deux extrêmes qu’elle redoutait, et lui ouvrait en même temps une nouvelle perspective sur les événements de sa vie, il lui parut une véritable inspiration du ciel. Elle n’avait pas de temps à employer pour en examiner les moyens et les suites. Les uns lui parurent se présenter par l’effet d’un hasard providentiel ; les autres lui semblèrent pouvoir être détournés. Elle se mit à écrire ce qui suit, fort à la hâte, comme on peut croire, car l’horloge du château venait de sonner onze heures :

« Albert, je suis forcée de partir. Je vous chéris de toute mon âme, vous le savez. Mais il y a dans mon être des contradictions, des souffrances, et des révoltes, que je ne puis expliquer ni à vous ni à moi-même. Si je vous voyais en ce moment, je vous dirais que je me fie à vous, que je vous abandonne le soin de mon avenir, que je consens à être votre femme. Je vous dirais peut-être que je le veux. Et pourtant je vous tromperais, ou je ferais un serment téméraire ; car mon cœur n’est pas assez purifié de l’ancien amour, pour vous appartenir dès à présent, sans effroi, et pour mériter le vôtre sans remords. Je fuis ; je vais à Vienne, rejoindre ou attendre le Porpora, qui doit y être ou y arriver dans peu de jours, comme sa lettre à votre père vous l’a annoncé dernièrement. Je vous jure que je vais chercher auprès de lui l’oubli et la haine du passé, et l’espoir d’un avenir dont vous êtes pour moi la pierre angulaire. Ne me suivez pas ; je vous le défends, au nom de cet avenir que votre impatience compromettrait et détruirait peut-être. Attendez-moi, et tenez-moi le serment que vous m’avez fait de ne pas retourner sans moi à… Vous me compre-