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consuelo.

fantaisie que j’ai de dire ici un verset de cantique que ma mère me faisait chanter avec elle, soir et matin, dans la campagne, quand nous rencontrions une chapelle ou une croix plantée comme celle-ci à la jonction de quatre sentiers. »

L’idée de Consuelo était encore plus romanesque qu’elle ne voulait le dire. En songeant à Albert, elle s’était représenté cette faculté quasi surnaturelle qu’il avait souvent de voir et d’entendre à distance. Elle s’imagina fortement qu’à cette heure même il pensait à elle, et la voyait peut-être ; et, croyant trouver un allégement à sa peine en lui parlant par un chant sympathique à travers la nuit et l’espace, elle monta sur les pierres qui assujettissaient le pied de la croix. Alors, se tournant du côté de l’horizon derrière lequel devait être Riesenburg, elle donna sa voix dans toute son étendue pour chanter le verset du cantique espagnol :

O Consuelo de mi alma, etc.

« Mon Dieu, mon Dieu ! disait Haydn en se parlant à lui-même lorsqu’elle eut fini, je n’avais jamais entendu chanter ; je ne savais pas ce que c’est que le chant ! Y a-t-il donc d’autres voix humaines semblables à celle-ci ? Pourrai-je jamais entendre quelque chose de comparable à ce qui m’est révélé aujourd’hui ? Ô musique ! sainte musique ! ô génie de l’art ! que tu m’embrases, et que tu m’épouvantes ! »

Consuelo redescendit de la pierre, où comme une madone elle avait dessiné sa silhouette élégante dans le bleu transparent de la nuit. À son tour, inspirée à la manière d’Albert, elle s’imagina qu’elle le voyait, à travers les bois, les montagnes et les vallées, assis sur la pierre du Schreckenstein, calme, résigné, et rempli d’une sainte espérance. « Il m’a entendue, pensait-elle,