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consuelo.

était propre et bien rangée. Il est vrai que notre pauvreté était voisine de l’aisance, tandis que l’excessive privation ôte peut-être jusqu’au sentiment du mieux.

— Pauvres gens ! dit Consuelo. Si j’étais riche, je voudrais tout de suite leur faire bâtir une maison ; et si j’étais reine, je leur ôterais ces impôts, ces moines et ces juifs qui les dévorent.

— Si vous étiez riche, vous n’y penseriez pas ; et si vous étiez née reine, vous ne le voudriez pas. Ainsi va le monde !

— Le monde va donc bien mal !

— Hélas oui ! et sans la musique qui transporte l’âme dans un monde idéal, il faudrait se tuer, quand on a le sentiment de ce qui se passe dans celui-ci.

— Se tuer est fort commode, mais ne fait de bien qu’à soi. Joseph, il faudrait devenir riche et rester humain.

— Et comme cela ne paraît guère possible, il faudrait, du moins, que tous les pauvres fussent artistes.

— Vous n’avez pas là une mauvaise idée, Joseph. Si les malheureux avaient tous le sentiment et l’amour de l’art pour poétiser la souffrance et embellir la misère, il n’y aurait plus ni malpropreté, ni découragement, ni oubli de soi-même, et alors les riches ne se permettraient plus de tant fouler et mépriser les misérables. On respecte toujours un peu les artistes.

— Eh ! vous m’y faites songer pour la première fois, reprit Haydn. L’art peut donc avoir un but bien sérieux, bien utile pour les hommes ?…

— Aviez-vous donc pensé jusqu’ici que ce n’était qu’un amusement ?

— Non, mais une maladie, une passion, un orage qui gronde dans le cœur, une fièvre qui s’allume en nous et que nous communiquons aux autres… Si vous savez ce que c’est, dites-le-moi.