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consuelo.

— Les souverains n’en sont pas plus mal servis. Ah ça, qu’allons-nous faire de ces enfants ?

— Nous pouvons dire comme le grenadier, répondit Consuelo, que, si vous nous abandonnez ici, nous sommes perdus.

— Je ne crois pas, répondit le comte, qui mettait dans toutes ses paroles une sorte d’ostentation chevaleresque, que nous vous ayons donné lieu jusqu’ici de mettre en doute nos sentiments d’humanité. Nous allons vous emmener jusqu’à ce que vous soyez assez loin d’ici pour ne plus rien craindre. Mon domestique, que j’ai mis à pied, montera sur le siège de la voiture, dit-il en s’adressant au baron ; et il ajouta d’un ton plus bas : — Ne préférez-vous pas la société de ces enfants à celle d’un valet qu’il nous faudrait admettre dans la voiture, et devant lequel nous serions obligés de nous contraindre davantage ?

— Eh ! sans doute, répondit le baron ; des artistes, quelque pauvres qu’ils soient, ne sont déplacés nulle part. Qui sait si celui qui vient de retrouver son violon dans ces broussailles, et qui le remporte avec tant de joie, n’est pas un Tartini en herbe ? Allons, troubadour ! dit-il à Joseph qui venait effectivement de ressaisir son sac, son instrument et ses manuscrits sur le champ de bataille, venez avec nous, et, à notre premier gîte, vous nous chanterez ce glorieux combat où nous n’avons trouvé personne à qui parler.

— Vous pouvez vous moquer de moi à votre aise, dit le comte lorsqu’ils furent installés dans le fond de la voiture, et les jeunes gens vis-à-vis d’eux (la berline roulait déjà rapidement vers l’Autriche), vous qui avez abattu une pièce de ce gibier de potence.

— J’ai bien peur de ne l’avoir pas tué sur le coup, et de le retrouver quelque jour à la porte du cabinet de Frédéric : je vous céderais donc cet exploit de grand cœur.