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consuelo.

confiance dont vous m’avez honoré, et surtout de ne montrer ce portrait à nul autre qu’à moi. Remettez-le dans sa boîte, et songez que cet enfant entend le français aussi bien que vous et moi.

— À propos ! s’écria le baron en refermant le portrait sur lequel Consuelo s’était bien gardée de jeter les yeux, que diable voulaient-ils faire de ces deux petits garçons, nos racoleurs ? Dites, que vous proposaient-ils pour vous engager à les suivre ?

— En effet, dit le comte, je n’y songeais pas, et maintenant je ne m’explique pas leur fantaisie ; eux qui ne cherchent à enrôler que des hommes dans la force de l’âge, et d’une stature démesurée, que pouvaient-ils faire de deux petits enfants ? »

Joseph raconta que le prétendu Mayer s’était donné pour musicien, et leur avait continuellement parlé de Dresde et d’un engagement à la chapelle de l’électeur.

« Ah ! m’y voilà ! reprit le baron, et ce Mayer, je gage que je le connais ! Ce doit être un nommé N…, ex-chef de musique militaire, aujourd’hui recruteur pour la musique des régiments prussiens. Nos indigènes ont la tête si dure, qu’ils ne réussiraient pas à jouer juste et en mesure, si Sa Majesté, qui a l’oreille plus délicate que feu le roi son père, ne tirait de la Bohême et de la Hongrie ses clairons, ses fifres, et ses trompettes. Le bon professeur de tintamarre a cru faire un joli cadeau à son maître en lui amenant, outre le déserteur repêché sur vos terres, deux petits musiciens à mine intelligente ; et le faux-fuyant de leur promettre Dresde et les délices de la cour n’était pas mal trouvé pour commencer. Mais vous n’eussiez pas seulement aperçu Dresde, mes enfants, et, bon gré, mal gré, vous eussiez été incorporés dans la musique de quelque régiment d’infanterie seulement pour le reste de vos jours.