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consuelo.

— Baron, cher baron, reprit le comte Hoditz, ceci est le revers de la médaille. Rien ne se fait miraculeusement chez les hommes. Comment Frédéric serait-il le plus grand capitaine de son temps s’il avait la douceur des colombes ? Tenez ! n’en parlez pas davantage. Vous m’obligeriez à prendre son parti, moi son ennemi naturel, contre vous, son aide de camp et son favori.

— À la manière dont il traite ses favoris dans un jour de caprice, on peut juger, répondit Trenk, de sa façon d’agir avec ses esclaves ! Ne parlons plus de lui, vous avez raison ; car, en y songeant, il me prend une envie diabolique de retourner dans le bois, et d’étrangler de mes mains ses zélés pourvoyeurs de chair humaine, à qui j’ai fait grâce par une sotte et lâche prudence. »

L’emportement généreux du baron plaisait à Consuelo ; elle écoutait avec intérêt ses peintures animées de la vie militaire en Prusse ; et, ne sachant pas qu’il entrait dans cette courageuse indignation un peu de dépit personnel, elle y voyait l’indice d’un grand caractère. Il y avait de la grandeur réelle néanmoins dans l’âme de Trenk. Ce beau et fier jeune homme n’était pas né pour ramper. Il y avait bien de la différence, à cet égard, entre lui et son ami improvisé en voyage, le riche et superbe Hoditz. Ce dernier, ayant fait dans son enfance la terreur et le désespoir de ses précepteurs, avait été enfin abandonné à lui-même ; et quoiqu’il eût passé l’âge des bruyantes incartades, il conservait dans ses manières et dans ses propos quelque chose de puéril qui contrastait avec sa stature herculéenne et son beau visage un peu flétri par quarante années pleines de fatigues et de débauches. Il n’avait puisé l’instruction superficielle qu’il étalait de temps en temps, que dans les romans, la philosophie à la mode, et la fréquentation du théâtre. Il se piquait d’être artiste, et manquait de discernement et de