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consuelo.

puissantes et précoces natures que ces natures italiennes !

— Je ne puis rien vous dire du talent de celui-là ! reprit le chanoine d’un air fort naturel, je ne l’ai pas trop distingué ; c’est son compagnon qui est un merveilleux sujet, et celui-là est de notre nation, n’en déplaise à votre italianomanie.

— Ah çà, dit l’inconnu en clignotant de l’œil pour avertir le curé, c’est donc décidément l’aîné qui nous a chanté du Porpora ?

— Je le présume, répondit le curé, tout troublé du mensonge auquel on le provoquait.

— J’en suis sûr, moi, reprit le chanoine, il me l’a dit lui-même.

— Et l’autre solo, reprit l’inconnu, c’est donc quelqu’un de votre paroisse qui l’a dit ?

— Probablement, » répondit le curé en faisant un effort pour soutenir l’imposture.

Tous deux regardèrent le chanoine pour voir s’il était leur dupe ou s’il se moquait d’eux. Il ne paraissait pas y songer. Sa tranquillité rassura le curé. On parla d’autre chose ; mais au bout d’un quart d’heure le chanoine revint sur le chapitre de la musique, et voulut revoir Joseph et Consuelo, afin, disait-il, de les emmener à sa campagne et de les entendre à loisir. Le curé, épouvanté, balbutia des objections inintelligibles. Le chanoine lui demanda en riant s’il avait fait mettre ses petits musiciens dans la marmite pour compléter le déjeuner, qui lui semblait bien assez splendide sans cela. Le curé était au supplice ; l’inconnu vint à son secours :

« Je vais vous les chercher, » dit-il au chanoine.

Et il sortit en faisant signe au bon curé de compter sur quelque expédient de sa part. Mais il n’eut pas la peine d’en imaginer un. Il apprit de la servante que les jeunes artistes étaient déjà partis à travers champs, après lui