Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 3.djvu/63

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
53
consuelo.

répugnance, vous en viendriez à penser que c’est un génie qui embrasse, résume et vivifie toute la science du passé et du présent.

— Eh bien, reprit le chanoine, s’il en est ainsi, nous essaierons demain à nous trois d’en déchiffrer quelque chose. Voici l’heure pour vous de prendre du repos, et pour moi de me livrer à l’étude. Mais demain vous passerez la journée chez moi, c’est entendu, n’est-ce pas ?

— La journée, c’est beaucoup dire, Monsieur ; nous devons nous presser d’arriver à Vienne ; mais dans la matinée nous serons à vos ordres. »

Le chanoine se récria, insista, et Consuelo feignit de céder, se promettant de presser un peu les adagios du grand Bach, et de quitter le prieuré vers onze heures ou midi. Quand il fut question d’aller dormir, une vive discussion s’engagea sur l’escalier entre dame Brigide et le premier valet de chambre. Le zélé Joseph, empressé de complaire à son maître, avait préparé pour les jeunes musiciens deux jolies cellules situées dans le bâtiment fraîchement restauré qu’occupaient le chanoine et sa suite. Brigide, au contraire, s’obstinait à les envoyer coucher dans les cellules abandonnées du vieux prieuré, parce que ce corps de logis était séparé du nouveau par de bonnes portes et de solides verrous.

« Quoi ! disait-elle en élevant sa voix aigre dans l’escalier sonore, vous prétendez loger ces vagabonds porte à porte avec nous ! Et ne voyez-vous pas à leur mine, à leur tenue et à leur profession, que ce sont des bohémiens, des coureurs d’aventures, de méchants petits bandits qui se sauveront d’ici avant le jour en nous emportant notre vaisselle plate ! Qui sait s’ils ne nous assassineront pas !

— Nous assassiner ! ces enfants-là ! reprenait Joseph