Page:Sand - Contes d une grand mere 1.djvu/116

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Mais là, elle s’arrêta ; son avenir était vague, mystérieux comme certaines phases de son passé. Elle sentait tout ce qui lui manquait pour franchir l’humble limite qu’elle avait acceptée en venant au secours de son père. Elle savait bien qu’au delà du métier qui assurait son indépendance et sa dignité, il y avait un grand essor à prendre : mais pourrait-elle jamais entrer dans les conditions de ce développement ? Pourrait-elle voyager, connaître, sentir ? secouer l’entourage, l’habitude, le devoir de chaque jour, cette borne que son père eût pu franchir et où il s’était arrêté pour obéir aux exigences d’une femme qui ne voyait dans l’art que le profit ?

Diane se sentait liée, arrêtée, brisée par cette même femme à laquelle il fallait disputer à toute heure l’esprit paresseux et vacillant de son père. Elle avait été naguère sur le point de l’écraser de son dédain. Elle s’était contenue, car elle avait sur elle-même l’empire qui manquait à son père, et quand elle se sentait près d’éclater, elle sentait aussi comme une force secrète qui lui disait : « Tu sais qu’il faut te vaincre. »

Elle se rappela ces moments de lutte intérieure et pensa à sa mère qui sans doute lui avait légué cette secrète et précieuse énergie de la patience. Alors elle invita avec ardeur cette âme protectrice à entrer dans la sienne pour lui tracer son devoir, comme sa figure était entrée dans sa vision pour lui révéler la beauté. Devait-elle renoncer résolûment à connaître les hautes jouissances de l’esprit pour ne pas abandonner son père ? Devait-elle résister à